P. Vonnard u.a. (Hrsg.): Beyond Boycotts

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Titel
Beyond Boycotts. Sport during the Cold War in Europe


Herausgeber
Vonnard, Philippe; Sbetti, Nicola; Quin, Grégory
Reihe
Rethinking the Cold War 1
Erschienen
Berlin 2018: De Gruyter Oldenbourg
Anzahl Seiten
VIII, 234 S.
Preis
€ 79,95
URL
von
Tissot Laurent

«Le passé est, par définition, un donné que rien ne modifiera plus. Mais la connaissance du passé est une chose en progrès, qui sans cesse se transforme et se perfectionne».1 L’ouvrage dont on rend compte ici répond parfaitement à ce que Marc Bloch écrivait il y a plus de 70 ans. Si elle est caractérisée comme «froide» sans conflits armés majeurs les opposant directement, la «guerre» qui s’ouvre en 1947 pour s’achever en 1991 avec la dislocation de l’URSS a souvent été décrite comme l’opposition entre deux mondes irréconciliables, totalement isolés l’un d’avec l’autre. Les relations étaient réduites au strict nécessaire et on évitait à tout prix de s’influencer mutuellement de peur de donner à ses propres populations l’impression que c’était mieux de l’autre côté. En s’appuyant sur les domaines politiques, militaires, diplomatiques, économiques, technologiques, scientifiques, l’historiographie a martelé à l’envi ces postulats avec le risque de tomber – consciemment ou inconsciemment – dans un militantisme parfois peu compatible avec une approche dite scientifique.

Avec leur ouvrage issu d’une session de la 5e rencontre des jeunes chercheurs en histoire contemporaine à Barcelone en 2015, les éditeurs s’inscrivent dans une nouvelle tendance historiographique perceptible depuis quelques années. Loin d’aboutir à l’idée que finalement ces deux mondes «s’aimaient» – ce qui serait ridicule –, ils renforcent la thèse selon laquelle ces mondes ne s’ignoraient pas ou tout au moins admettaient des points de rencontre. Le sport présente à cet égard un champ idéal d’études. «Divisés mais pas déconnectés» pour reprendre le titre d’un ouvrage paru en 2011, ces mondes, en s’affrontant sur un terrain de football, d’athlétisme, dans une salle de basketball ou une piscine, se sont influencés ou ont tenté d’influencer l’adversaire – qui restait un ennemi –, sans compter que ces rencontres pouvaient générer une meilleure compréhension de l’autre même pour le dénigrer.2 Certes les boycotts n’ont pas manqué, renforçant la thèse initiale de l’opposition dure et musclée : que l’on pense aux Jeux Olympiques de Melbourne en 1956, de Moscou en 1980 et de Los Angeles en 1984. Mais en d’autres occasions, pour des événements peut-être moins médiatisés, des rencontres ont vu s’affronter des équipes de l’Est et l’Ouest dans des parties où la suprématie des uns sur les autres restait l’enjeu mais où les sourires et les poignées de main avant ou après le match matérialisaient un respect des règlements et le sentiment qu’on partageait les mêmes sensations.

C’est à ces rencontres que les contributions rassemblées ici se sont intéressées. Se focalisant surtout sur les compétitions qui eurent lieu sur le continent européen, elles montrent comment il faut les comprendre dans un contexte qui restait tendu. Le cas de la ville de Trieste à la frontière de deux mondes (1945–1948), la spécialisation et la scientifisation des méthodes d’entraînement dans le ski de fond telles qu’elles sont comprises en Suède et en URSS depuis les années quarante, la politique sportive du régime franquiste envers le Bloc de l’Est, les interactions du sport soviétique en Europe, le rôle de l’UEFA dans les échanges Est-Ouest entre 1945 et 1955, le cas de la Conférence européenne sur les Sports dans les années 1970 et 1980, l’impact des basketteurs américains dans les bases militaires en France, les jeunes pionniers ghanéens dans l’orbite soviétique, le rôle du jeu d’échec dans la Guerre froide à travers le «match du siècle» Spassky-Fischer à Reykjavik, la tournée des joueurs de ping-pong chinois en Suisse en 1972, le menu proposé est suffisamment riche et varié pour nous faire entrer dans les dédales des confrontations et dégager une explication à ces événements.

Car sous les sourires et les poignées de main que les photographes immortalisaient à loisir, que se cachait-il? Le célèbre aphorisme de George Orwell à l’issue de la tournée réalisée en Grande-Bretagne par le Dynamo de Moscou en novembre 1945 – «Le sport c’est la guerre, les fusils en moins » – résume-t-il complètement ce qui s’est passé jusqu’à la chute du Mur en 1991? Fallait-il préférer de toute évidence ces confrontations en culottes courtes à tout affrontement armé, une victoire ou une défaite sur un terrain de football valant de toute manière mieux que des milliers de morts sur un champ militaire? Comme le montre la plupart des articles, la diplomatie n’était jamais absente de ces manifestations – le joueur quel qu’il soit pouvant troquer sa tenue de sportif contre l’uniforme de l’officier ou de l’agent de renseignement une fois la partie terminée – et la volonté d’en découdre autrement que sur un champ de bataille pour assurer la suprématie d’un camp ou de l’autre, non plus. Mais en suivant Martin Polley de la Montfort University dans une postface très éclairante, on peut aussi émettre l’idée que ces confrontations faisaient entrer les intervenants dans les univers plus personnels de contacts et d’interactions, que ce soit entre les officiels qui organisaient et encadraient ces événements ou les groupes de joueurs qui s’y affrontaient. Une rencontre n’est jamais innocente et laisse des traces sur les participants à titre individuel ou collectif même s’ils restent convaincus – de gré ou de force – qu’ils se trouvent dans le bon camp. En laissant de côté des aspects spectaculaires qui ont amené aux boycotts et qui ont fait l’objet de nombreuses études, en laissant aussi de côté les grands événements – tels les Jeux Olympiques – médiatisés à outrance, ces jeunes historiens nous invitent à déplacer notre regard vers des confrontations peut-être moins importantes, plus discrètes mais tout aussi révélatrices de la place du sport dans les sociétés, à l’Est comme à l’Ouest.

Dans ses Huit leçons sur le sport, Paul Yonnet écrit que «le phénomène sportif repose entièrement sur une demande sociale constituée de deux éléments: une demande de sport direct et une demande de spectacle.»35 Durant la Guerre froide, le sport n’a pas échappé à cette dimension. De ce point de vue, aller au-delà des boycotts, c’est aussi envisager l’après-guerre.

Anmerkungen
1 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris 1952, (Cahier des Annales, vol. 3) p. 36.
2 Tobias Hochscherf, Christopher Laucht, Andrew Plowmann (dir.), Divided, but not Disconnected. German Experiences of the Cold War, New York 2011

Zitierweise:
Tissot, Laurent: Rezension zu: Vonnard, Philippe; Sbetti, Nicol; Quin, Grégory (eds.): Beyond Boycotts. Sport during the Cold War in Europe, Berlin / Boston 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (3), 2021, S. 576-577. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00093>.